vendredi 21 mai 2010

Glisse

On essaie de faire des mots, de dire des phrases venues d'ailleurs, d'élever des citadelles et des pays. Lorsque le matin perce entre les rideaux, un espoir se glisse, celui d'esquisser des mondes du bout d'une plume rêveuse. Mais les heures passent sans entrain, pourtant si vite, de matinées trop courtes, absentes parfois, aux fins d'après-midi trompeuses, qui vous laissent croire que le temps s'arrête - qui vous laissent pressentir une pause, un suspens, pour goûter enfin le goût de cette journée - alors que le soir se précipite déjà, dans toute cette immobilité, pour préparer la nuit, le sommeil, le lit et les draps frippés.

Des intervalles, entre deux secondes, se glissent parfois, et l'esprit, flottant, ne sait que demeurer. Le soleil, les gens dehors et tous leurs bruits empêchent de faire un seul geste, d'écrire un seul mot, parce que tout serait empoissé de langueur, de fatigue, et d'absence. Il est si difficile de trouver un point où adhérer, notre vie manque d'accrocs. Et par-dessus cette insensible similitude, qui fait toutes les heures semblables - et seul leur nom et leur couleur, peut-être diffèrent - parfois des larmes viennent à couler, mais ce n'est jamais pour de bon. Il y a toujours quelque chose de faux.

Reste en permanence une sensation de glisse, entre le laisser-aller et le dérapage, parce qu'on ne sait plus ce dont on a conscience, si c'est nous qui laissons lentement nos pensées dériver, tourner en boucle sans pénétrer dans la matière de l'existence, ou si c'est le paysage, la ville, qui sont imperméables, si ce sont les mots imperméables.

Je regarde les autres qui marchent, il me semble que je ne suis pas à leur niveau. Je regarde les façades et les lampadaires, il me semble qu'en avançant, je ne pourrais pas les toucher. Le réel recule à chacun de mes gestes pour l'appréhender. Il me manque un contact - mais disons que ce n'est que l'humeur du jour... qui veut ça.
Pourtant, par la fenêtre, on voit l'immense ciel vide et bleu, et jaune au-dessus des toits. On voit toute cette place, dans l'espace de la vision, on voudrait en faire quelque chose. Creuser, déformer, approfondir, assombrir, contraster. Mais je ne peux me défaire du plat. Plan, platitude. De la prose aplatie.

Malgré tout c'est reposant. Mais stérile.

lundi 10 mai 2010

Valse blanche

Un soupçon de lumière montait des frondaisons vers le ciel noir ; il en flottait dans les branchages, percée de feuilles. Les déchirures de l'ombre, contre les troncs, faisaient des tâches de mousses et de lichens. Et les racines, au sol, paressaient. Mon regard, suspendu à mi-parcours, plongeait dans le trouble du soir ; mes paupières brassaient, en clignant, des rêves sans maîtres et vieillis. Il y avait, dans ce bois, l'inquiétante présence des choses qui ne se résignent pas à disparaître. En haut d'une roche pointait un rameau mort, comme un doigt tendu vers la lune qu'on ne distinguait pas. J'aimais poser ma tête contre le doux herbage au pied des chênes, quand ma jeunesse brillait encore ; mais c'était un autre temps. Des mots s'étaient envolés avec cette blancheur en perle, sur les feuilles, qui s'envole. Je regarde monter tous ces souvenirs dans des profondeurs d'étoiles. Un reste de piano s'accroche, qui laisse tomber trois notes avant de repartir.
Mon enfance rejoint d'autres cieux.
Le bois respire à petits coups, veillant dans son sommeil à laisser de la place à d'autres - aux voyageurs bercés de branches et de clarté, dont les visages rayonnent. Parfois, sans doute, une envolée de vert vient troubler le voile laiteux qui flotte sur les arbres, mais ce n'est qu'un soupir.