mercredi 30 décembre 2009

Fragments


(The Abandon, Anuwolf)

Voici ce qui traîne dans mes cartons informatiques, voici mes phrases démembrées, mes mots tronqués, mes rimes desséchées. Des magmas de vérités perdues, des amas sans forme, sans sens, qui auraient pu être autre chose. J'aurais pu y croire.
Mais ces élans sont brisés. Ils s'arrêtent au bord de la feuille, là où ma main a flanché et mon cœur s'est senti vide. Là où j'ai lâché prise. Où j'ai abandonné.
Ils m'encombrent, ces échecs.

Je les exhibe pour faire table rase. Je les jette dehors.
M'en débarrasser.
Les regards curieux pourront les survoler, en passant.

11/12/09

Le gris tombe en miettes sur les façades, la nuit s'apprête. Se mêle à mon cafard des jours de fête. Au cœur des brouhahas mon cœur respire. Regarde à gauche, regarde à droite, s'en va mourir. Je vais sans détours dans le passage des larmes. Tourner le dos au jours, faire ses armes, contre les sanglots qui rôdent, environnant les âmes dont la joie éphémère est une trompeuse flamme. A quoi bon relever les têtes branlantes, les membres mous, pourquoi faut-il les tendre, vers où ? Il y a le bruit de l'eau sur les terrasses, qui fait sourire les noirs piétons qui passent. Rien n'a d'air, tout se fuit, on étouffe sans savoir. L'avenir, dans nos verres, boit notre vin du soir.

29/11/09

Au fond du jardin s'étalait la lune, vague empilement de clartés jaunes. Des branchages s'y penchaient, tête nue, maigres dans la nuit de l'hiver. Des successions d'images, venues d'autres temps, enjambaient le ruisseau noir qui bourdonnait sous la glace, formant des rosaces ; s'y mêlaient des mots qu'on n'avait plus entendus depuis longtemps, et des souffles et des rires de gens qui n'étaient plus là.
Sous le rebord de la haie bleue, mes songes s'entassaient. Je les sentais fuser, emplir d'un peu de tiède l'atmosphère silencieuse, accompagner les bouffées blanches que je tirais de ma pipe. Mes pieds ne s'agitaient plus.

26/05/09

Abram No pinça très délicatement la chair rosée de la joue de la morte. La texture en était élastique et étrangement molle. Le corps avait à peine basculé dans le royaume des limbes muettes - sans ce boum-boum, boum-boum bien embêtant qu'on a toujours dans la poitrine. Il était encore tout chaud, appétissant comme un petit pain sorti du four. Abram No tâta, entre le pouce et l'index, la pastille ronde du lobe disparaissant sous les cheveux blancs. Sa fermeté était adorable.

15/05/09

Impossible de savoir ce qui a changé. Pas moyen de mettre la main sur ce petit rien qui a tout retourné, tout chamboulé, sans égard pour ma tristesse, mon désespoir et mes désillusions. Où que je tourne les yeux à présent autour de moi, il n'y a plus rien que je reconnaisse.

09/04/09

Alors le temps passait, le temps revenait, j'avais la nausée devant ses tortillements. Plus de corde salée où retenir mon cœur. Instable et sans perspective ferme, rien que la découpe des vagues trimbalée par-dessus la coque du navire ; rien qu'un amoncellement de volumes, nuage sur écume, carré noir de nuit piqué sur le grand mât ; rien que des sons douloureux, sifflements du vent haineux venus râper nos peaux, et hurlements des passagers, laissés sans capitaine.

Je fis comme les autres et penchait mon corps trempé au bastingage. Je voulais voir plus bas, j'imaginais des profondeurs sourdes, veloutées, sous les coups de gueule de la tempête. Toute la mer ne pouvait pas nous en vouloir à ce point, il fallait bien qu'il y eût, ailleurs, des régions apaisées et disposées à l'accueil des héros vaincus. Si nous sombrions, nos corps feraient mieux de gonfler leurs membres de noyés pour descendre, lourds, en bas, plus bas, rejoindre les duvets millénaires des fonds marins. L'oreiller des siècles pour porter nos têtes sombres, nos lucioles éteintes. Ce serait bien.

31/03/09

Nous avons marché côte à côte dans le ciel de printemps, côtoyant les nuages et les oiseaux. Nous esquissions les chemins du soleil, chatouillés par le dernier vent de mars. Penchés aux rambardes célestes, nous étions pleins de curiosité. Mais nous n'avons pas vu le monde à nos pieds, car tout ce qui nous importait prenait place dans le visage de l'autre. Nous nous suffisions.

14/01/09

Nous avancions, sans jour, nous devancions nos pas
Croisant nos embarras, et bercés de sommeil,
L'insomnie des étoiles pesant sur nos bras
Nous appelions la lune à nos heures de veille

Et souvent j'y ai cru mais c'était le mirage
D'une nuit brune, la joue triste, et l'âme lourde
Sans reflet, sans remous, à l'air calme et trop sage
C'étaient des errements dans les ruelles sourdes