samedi 7 février 2009

"Ah comme ce parfait inconnu... semble aussi parfait qu'inconnu !"

Petite scénette, dans un palais quelconque, et sous les latitudes voulues... Le parfait inconnu renverra, dans l'esprit de chacun des lecteurs, à une personne bien déterminée, et l'amoureuse Clarisse, aura toutes les chances d'être aussi fantasque et compliquée que le lecteur lui-même.


L’AMOUREUSE :

Le flottement est familier, je ne m’en offusque plus. Au contraire, je cherche à l’apprivoiser, à le démunir en lui ôtant ce masque qu’il a trop facilement le loisir de revêtir. Oh, ce n’est pas très nouveau, ça, de me dire que je suis faible… Mais que ça fait du bien de se complaire dans son reflet, devant le miroir d’irréelles fantaisies ! C’est agréable, ça me réchauffe, là, quelque part dans le ventre. Ca arrange tout différemment, me voilà sans dessus dessous. C’est que j’aime ça le désordre, et son petit vent de nouveauté, et sa veine rebelle qui pulse à mes oreilles !
Alors de jour en jour, le sentiment fluctue, et les certitudes, une fois assurées, fuient, sans que je comprenne trop leur manège incessant, les course-poursuites auxquelles elles se livrent, entre mes interrogations et mes impressions. Je suis le terrain de jeux des étincelles de tous bords, et dans le bac à sable qui trône, fièrement, au milieu — au milieu de moi-même, et comme c’est grand, même si c’est insaisissable ! — des chahuts et des rires font mousser ce brouhaha qui fait que je m’y perds. Tout de même, ce serait trop bête de faire une bêtise… Mais si l’on ne décrypte rien ? Pire… Et s’il n’y avait rien à décrypter ? Et si tout ce qui nous paraît lisse était vraiment, inéluctablement, inévitablement lisse ! Malheur, pauvres de nous qui cherchons à cerner des visions derrière tout ce qu’on voit. Mes très chers que ferons-nous des apprentis sorciers, et des jeunes druides dont les mots et les notes vont se cacher dans les coulisses du réel pour revenir chargés de mystère et d’impossible ? Que ferons-nous des idéaux qui n’ont pas les pieds sur terre et qui nous aident à avancer ?
Il faudra les secourir eux aussi, leur apporter à grand flots l’improbable et le sans-queue-ni-tête. Il faudra se montrer fou, dans notre grande sagesse.

LE PAGE :

Je peux bien servir dans un sens ou dans l’autre, tendre mes petits bras pour porter des fardeaux imaginaires ! Comme j’aimerais entrer dans ce monde fait d’émerveillement, léger, et rose comme mes bonbons. Lécher les contours des choses comme on déguste une friandise, et oui, vraiment, se gorger de rêves jusqu’à exploser.

LA SŒUR :

Tout ceci est inepte ! Ma douce Clarisse, il me semble de mon devoir est de vous rappeler qu’en cette situation une dignité sans faille est exigée de vous. Laissez-là vos sornettes et vos baguettes magiques, et cessez de questionner ces gens qui ont si peu à dire. Regardez-les franchement, droit dans les yeux, et passez-vous de ces clins d’œil ratés, de ces langoureux regards qui manquent leur objet, et font naître, ô inconscients, des cibles qui n’ont pas lieu d’être. Ressaisissez-vous, ma chère. Et que pouvez-vous bien trouver à ce jeune homme ?
Il est vrai qu’un visage, à ses heures charmant, peut sans doute parfois éveiller vos désirs. Mais que diable, ce sont des perspectives qu’on ne voit que rarement, des formes qui s’éclairent parce qu’un rayon, joueur, vous fait perdre la raison, se mirant dans de beaux yeux bleus. Et qu’ils sont ternes, ces yeux frangés de noir, quand à nouveau on se tourne vers eux!
Soyez sage, ma chère, et rendez à votre esprit cette sérénité qui lui sied bien mieux.

L’AMOUREUSE :

Qu’il vous est aisé, ma sœur d’adopter ces propos, impartiaux, et pragmatiques, et sans aucun doute trop terre-à-terre pour voir ce que, moi, je peux voir, des cimes où je sais vivre ! Je vous aperçois minuscule parmi les dames de cour, les plumes des chapeaux et les parures en or. Et vous m’êtes insignifiante. Figurez-vous qu’il m’a fallu tantôt bien tendre l’oreille pour saisir votre voix. Et ce ne me fut point agréable. Je ne m’imposerai plus ce lourd devoir pour écouter vos balivernes si… et bien, si respectables ! Mon Dieu que c’est ennuyant, et que j’aime à renverser par-dessus bord, de mes phrases incongrues, vos cérémonies et vos rituels sans bavure.
Ce parfait inconnu me trouble. Je ne sais s’il m’aime. Et pourtant ce n’est pas cela qui me trouble, non. C’est bien plutôt que je ne sache pas si je l’aime qui me perturbe. Voyez-vous, un instant, ce sourire retenu qui affleure aux lèvres et l’éclat brutal sur ce visage qui me fixe… Je perds la tête. Oui, non, oui, non, je chavire seule, portée par mes suppositions, incapable de donner sens à ses gestes comme aux miens.

LE PAGE :

Alors il faut remuer tout ça, jusqu’à ce que ça se sépare, et que distinctement on analyse chaque mot, chaque intonation, chaque sous-entendu.

LE SŒUR :

Alors, il faut stopper le mouvement, se figer dans une attitude saine et irréprochable, et se contenter de certitudes peut-être lourdes, et raidies par le poids des siècles, mais dont la sagesse a été éprouvée. Si elles ont convenues à d’autres, elles peuvent vous convenir aussi !
Mais enfin Clarisse où allez-vous ? Et que cherchez-vous de ce pas fiévreux qui vous fait paraître une tigresse enfermée dans sa cage ?

L’AMOUREUSE :

C’est en moi-même que j’étouffe, et en moi je suis enfermée. Il faut que je le voie, ne le savez-vous pas ? Ce besoin est en moi si puissant qu’il m’est impossible de croire que tous ne le sentent pas. Oh, le jardin qui dort, et l’allée où Il est passé, je m’en vais les rejoindre, et donner quelque fraîcheur à mes fantasmes trop énervés…


(pix: The Experiement, Light4Shadow)