jeudi 31 juillet 2008

Ombre, ciel et majesté


Encore un jour se lève sur la planète France...

La panse prend des dimensions incroyables, le thermomètre prend ses aises, fait bouillir l'été... Les montagnes gardent pour elle toute la fraîcheur des hauteurs, et nous nous réfugions à l'ombre. Depuis notre escapade près de la Bazoche, j'ai appris à me tenir face à mam'zelles les mouches et les abeilles. Mais bon... Contentons-nous d'une neutralité librement consentie, remettons à plus tard les délicatesses de l'amitié.

Aujourd'hui, donc, escapade dans les Vosges, près du Petit Ballon, après escale dans une ferme auberge. Et plus ça va, et plus je me dis qu'un jour, mes chers béhèles, on viendra ici. Traîner en montagne, prendre le soleil, déguster, écouter l'accent chantant de l'Alsace et goûter ses p'tits gâteaux, s'enivrer au Gewürzt', courir dans les vignes, jouer les touristes, revêtir le costume traditionnel et parler aux vaches qui font tinter leurs cloches.
On a la vie devant nous...

Il paraît que l'orage approche; dehors le ciel s'orange sur les sommets. Les Vosges sont d'un vert sombre, presque gris; elles ont le poil court, celui des sapins. De loin, ça a l'air rugueux, râpeux, comme une moquette rêche. De la fenêtre, je vois des façades de toutes les couleurs où s'entrecroisent parfois des poutres.
Ma soeur lit sur son lit, je suis accro à mon clavier et à Internet.

J'ai regardé à nouveau quelques films des Thesnières, je me suis marrée toute seule.
Dans la voiture, en rentrant, j'ai scruté les nuages qui s'étiraient, qui traînaient, faignants. Mes yeux ont glissé sur les plaines vertes, toutes lisses. J'aime ces moments où l'oeil a la folie de croire qu'il peut tout embrasser d'un coup, le ciel immense, la terre qui s'arrondit à l'horizon, les têtes folles des arbres et la respiration du monde. Ces instants ont perdu de leur nostalgie, ils ne me rendent plus triste sans savoir pourquoi, au contraire. Ils m'apportent une stabilité, des certitudes qui ne s'expliquent pas, qui ne se désignent pas.
Je pourrais rester des heures à regarder là-haut, l'espace immense qui gigote au-dessus de nos têtes, comme s'il m'emmenait. Pas ailleurs, mais ici, dans cette vie. Comme s'il me montrait les choses différemment, avec du recul et une bienveillance diffuse, comme s'il me chuchotait tout bas ce que j'oublie souvent, les gouttes de bonheur qui sèchent sur les feuilles du quotidien. Dans ce grand miroir bleu, je me vois. Je vois ceux que j'aime, ce que j'ai été, ce que je serai; ce qu'ils seront, ce qu'ils aimeront, ce que j'aimerai. Je vois tout ça inextricablement lié. Cohérent.

Alors, parfois, l'esprit accroché aux cumulus, je me dis que je sais. Quoi? Quelque chose qui échappe, qui se dérobe, mais pas tellement. Plutôt quelque chose de tellement évident que ça s'effrite quand on veut le dire.

J'ai l'impression de surplomber la vie et d'en être au coeur.


mardi 29 juillet 2008

Au pays des schtroumpfs, le ciel est bleu (ailleurs aussi...)


On me reproche de faire la grève du blog, et on a le culot de le faire sur mon propre blog! ... :)

Les vacances, l'absence de stress, le soleil et le farniente... Il faut me comprendre, comment voulez-vous que je trouve l'inspiration? Le temps passe, vite et lentement. Au final, je ne peux pas vraiment résumer ce que je fais de mes journées, c'est informe et ça coule comme une pâte de dentifrice. C'est du temps agréablement laissé à lui-même. Je vois le soleil monter dans le ciel, cuire les terrasses et les chambres en début d'après-midi, et redescendre. (Et oui, Alex, c'est l'histoire de la vie...).

Mes vacances en mode "shuffle" m'ont conduit successivement: à notre séjour sur la Côte Béhèle; à une semaine de rangement de chambre made in St Thibault, avec incursions possibles du genre "On a marché dans Paris"; à un mariage, celui de ma cousine, superbe (le mariage et la cousine!); à la Gare de l'Est, direction Turckheim, l'Alsace et les géraniums. Facebook est devenu mon compagnon de voyage. Faute avouée est à moitié pardonnée. Je fais des projets, encore et encore; mais qui plus est, je me bouge même pour essayer de les réaliser. Bienvenue dans la vie réelle...

Et puis je continue à écrire. Des histoires. Des personnages. Des lieux. Et plus je creuse, plus je m'enfonce. Ma tête, qui n'a plus à mouliner des dates et des dates, des chiffres et des théorèmes, se rabat sur le contenu imaginaire de tous ces livres qui attendent de naître. J'essaie d'être réaliste, et je sais que le mot de la "Fin", n'est pas pour aujourd'hui. Au moins je ne cesse d'être surprise. Pour l'instant je me concentre sur la suite de "Evrasth" (désolé pour ceux qui attendent à Esthröne en compagnie de l'infortuné Mabro!). Une chose à la fois, sinon je finis par m'embrouiller. Je me réserve aussi le droit de construire grossièrement mon "Nevedius". Mais là c'est carrément la taille au dessus, pourrait-on dire. Le genre de truc qu'il va me falloir des années avant de terminer. J'ai l'impression d'être un canard qui pond des oeufs d'autruche.

Et puis, aussi, je redécouvre le plaisir de lire ce que je veux, de noter ce que je veux... Quelques phrases, pour laisser Hugo parler, bien mieux que moi:

* "C'est de la physionomie des années que se compose la figure des siècles"

* "Nous avons beau tailler de notre mieux le bloc mystérieux dont notre vie est faite, la veine noire de la destinée y reparaît toujours"

* "Étudier à Paris, c'est naître à Paris" (et qui pourrait contredire ça?)

* "Voyager, c'est naître et mourir à chaque instant"

(Les Misérables)

vendredi 18 juillet 2008

Be happy


"C'est son côté agaçant, il faut qu'il parle"...

Après une semaine aussi inoubliable, la seule chose à faire serait de se taire. Parce que tout ce qu'on pourrait dire serait faux, d'une certaine manière, serait inapproprié. Pourtant je rayonne encore sous le soleil, auprès d'une piscine bleue, les pieds gigotant dans l'herbe. Je regarde encore autour de moi, cherchant où se cache ce joli mot: le bonheur. Comme pour découvrir une explication à ce qui reste mystérieux.

Des gens? Non... pas "des gens", mais "ces gens": ces gens, qu'on connaît trop, sans se lasser de les écouter. Ces blagues qui nous font rire, quand bien même on les a entendues un nombre incalculable de fois. Ces sourires qu'on lâche sans rien calculer, ces regards qui, tous ensemble, s'attardent sur des épisodes communs, tristes ou drôles.

J'ai rarement réussi à me retrouver, sans me réfugier dans la solitude. Mais ce qui est fou: c'est au milieu de vous tous que je suis moi, que je me sens bien. C'est parmi les autres que je tiens à nouveau en moi. On croit que tout ça forme un grand bordel où caractères, goûts et couleurs s'entrechoquent parfois au hasard. Moi j'aime à y voir une cohérence bizarre mais indéniable. Tout simplement, ça marche.

De retour dans notre belle région parisienne, la grisaille dehors imbibe les feuilles. Comme ailleurs, c'est vrai; mais déjà c'est différent. J'ai retrouvé comme un élan pour avancer, et des idéaux en masse. Un optimisme rageur qui risque de se heurter bientôt à une sorte de banalité quotidienne. Et bien, tant pis.

J'envoie de l'amitié par-delà mon clavier. Comme si je débordais.

Je vous souhaite de bonnes vacances.
Commencées sous ces augures, peuvent-elles ne pas l'être?

samedi 5 juillet 2008

Mika en concert

*Billy Brown* (fell in love with another man...)


*In Any Other World*


*Au Pays Des Merveilles*

Ici pour plus de photos et de vidéos....

Our Interpretation


You talk about life, you talk about death,
And everything in between,
Like it's nothing, and the words are easy.
You talk about me, and you talk about you,
And everything I do,
Like it's something, that needs repeating.

I don't need an alibi or for you to realize,
The things we left unsaid,
Are only taking space up in our head.
Make it my fault, win the game
Point the finger, place the blame
It does me up and down,
It doesn't matter now.

[chorus:]
'Cause I don't care if I ever talk to you again.
This is not about emotion,
I don't need a reason not to care what you say,
Or what happened in the end.
This is my interpretation,
And it don't, don't make sense.

The first two weeks turn into ten,
I hold my breath and wonder when it'll happen,
Does it really matter?
If half of what you said is true,
And half of what I didn't do could be different,
Would it make it better?
If we forget the things we know.
Would we have somewhere to go?
The only way is down, I can see that now.

[chorus]

It's really not such a sacrifice

[chorus]

And it don't have to make no sense to you at all,
'Cause this is my interpretation, yeah, yeah, yeah.

vendredi 4 juillet 2008

Scènes de la vie nocturne (Evrasth 4)


Je commandai une bière chez George Dindon, la chaumière miteuse qu’on appelait « auberge », et dont le toit oscillait sous les rafales de vent qui balayaient la route Sud d’Harteuf. Marty, qui servait, était d’humeur sombre. La tempête qui venait l’inquiétait, d’autant plus que le vieux George, son père, était parti pêcher sur le lac en début d’après-midi et n’était toujours pas rentré. Le lac Lengorne exerçait sur les gens des environs d’Harteuf une fascination mêlée de peur qui touchait jusqu’aux fermiers des plaines du Nord, près d’Orgo-ville. Comme autrefois, sur l’ancienne Terre, les caprices de la déesse Mer et de Poséidon.

A travers les vitres dégoulinant de pluie, la lueur des luminiums qui éclairaient la rue m’arrivait amollie, comme diluée par les trombes d’eau que faisait pleuvoir le ciel. Il était vingt heures. Derul, la première lune de Salbaste, flottait au dessus de la ligne d’horizon. Les contours du paysage, de la grève éclaboussée en contrebas, et des barques qui tiraient fébrilement sur leurs attaches, étaient brouillés. Il régnait dans l’air comme le sentiment d’une attente qui n’appelait aucun dénouement. Comme si le lieu tout entier était imbibé d’un mystère qui refusait de se dévoiler.

J’avais encore quatre heures devant moi, avec de retrouver l’autre folle et ses histoires de trésor. Evrasth… Je me souvenais encore des soirs ensoleillés où ma grande sœur Maria me contait cette histoire, lorsque je n’avais pas dix ans. Nous habitions alors sur Islath, petite planète très réputée pour son tabac blanc. C’était avant que Maria ne parte poursuivre ses études sur Verámenzu, qui abritait la plus grande bibliothèque du Consortium, avec au bas mot trente milliards d’ouvrages.

Et ces soirées-là, quand la lumière d’été filtrait encore à travers les feuilles de tabac géantes, Maria me racontait… Elle me parlait de ces gamins d’avant la Guerre Blanche, qui étaient plus que des enfants. On disait qu’ils avaient une seule âme pour tous et que celle-ci formait un fluide traversant leurs corps et le Consortium entier, et par lequel l’ « Esprit du Monde » venait à s’exprimer. Maria avait du mal à m’expliquer ce point, que je ne comprenais pas à l’époque (mais après tout, que peut-on comprendre à ces contes farfelus ?). Elle me présentait ces enfants comme des intermédiaires avec une Conscience supérieure. A l’époque, on n’osait plus parler de « Dieu », l’athéisme ayant été élevé au rang de vérité scientifique.

La légende du trésor d’Evrasth professait que, pendant la Guerre Blanche, ces enfants avaient été tués, sur différentes planètes et à des années-lumière de distance les uns des autres. Mais leur mort avait engendré un trésor inestimable, non pas composé de pierreries, de joyaux, ni même d’or. Chacun de ses enfants était l’incarnation d’une perfection plus haute, d’une innocence censée guider les hommes vers un futur digne d’être aimé. Leur assassinat, volontaire ou accidentel, durant le conflit le plus meurtrier de l’histoire de l’humanité, devait être vu comme un sacrifice. Et le trésor d’Evrasth était constitué de cette perfection divine et de cette pureté que les hommes en guerre avaient supprimées.
Pour beaucoup, cette légende était un message, celui du dernier salut possible. Qui trouverait le trésor d’Evrasth trouverait la dernière trace de ces enfants envoyés dans l’Univers pour sauver les hommes et leur apporter la foi. C’est pour cela que personne ne savait ce qu’était exactement ce trésor ; on ignorait même s’il s’agissait de quelque chose de palpable. Pour les théologiens les plus versés dans l’ésotérisme (du moins, les rares qui vivaient encore aujourd’hui), il s’agissait de l’essence même du plus divin des présents : l’Amour.

Je décidai que, puisque je n’avais rien de mieux à faire, je n’avais qu’à pioncer un peu. L’auberge était quasiment vide. Je pris mes aises, enlevai mes bottes auto-réparantes (qui étaient d’ailleurs trouées car le mécanisme innovant qu’on m’avait mensongèrement vanté comme inusable ne fonctionnait plus). Dehors, quelques vieux bolides de course, rafistolés à la va-vite, surfaient sur les à-coups du vent comme sur de véritables vagues. Je finis ma chope d’une seule gorgée et m’affaissai sur la table.


Quelqu’un me secouait. J’émergeai lentement des brumes de l’alcool et du sommeil pour croiser le regard inquiet de Marty. Ses iris bruns brillaient comme des torches à la lumière des néons. Il murmura dans un souffle : « Quelqu’un pour toi, dehors ».
La grosse horloge indiquait minuit. L’heure des fantômes et des sacrifices dans les cimetières, l’heure des mages noirs et de leurs incantations… Je me passai la main sur le visage. A force de m’acharner sur ces reportages abracadabrantesques, j’avais la tête polluée par ces histoires à dormir debout ; mythes et malédictions me semblaient maintenant faire partie intégrante de mon quotidien. Je commençais à craindre de me prendre pour un héros des temps anciens.

Sous le porche, une vieille femme attendait, s’appuyant sur un grand bâton à l’écorce noire. Elle portait une cape, noire elle aussi, et un chapeau ridiculement long. Maudissant les intuitions d’Harry, je dévisageai ma curieuse interlocutrice. Je fus bien obligé de convenir que j’avais devant moi la parfaite illustration de ce qu’on a coutume de désigner par « sorcière » dans les contes pour enfants.
« Armande. Enchantée de faire votre connaissance ».

La « sorcière » me tendit une main noueuse et semée de verrues. Elle avança vers moi et j’aperçus son visage à la clarté des luminiums. Elle avait un nez crochu, également orné de verrues, et des yeux sombres autour desquels couraient des centaines de petites rides. Sur son crâne des cheveux gris emmêlés formaient une masse inquiétante sur laquelle était perché, défiant les lois de la gravité, ledit chapeau pointu.
Je faillis éclater de rire, m’attendant presque à voir cette Armande sortir une belle pomme rouge des poches de son manteau. Elle me sourit, montrant sa bouche édentée. Cela doucha mon cynisme moqueur. Il n’y avait rien de très rassurant dans l'accueil qu'on m'avait réservé.

Je ne savais que faire d’autre, je serrai la main de ma nouvelle collaboratrice. Quelque chose (ou quelqu’un ?) glapit. Je baissai les yeux. Un nain, coiffé d’un chapeau de bouffon où pendaient des clochettes, agrippaient fermement la robe d’Armande. J’avais du lui marcher dessus par inadvertance et, ne sachant comment m’excuser, je lançai un regard interrogateur à la vieille femme. Elle répondit sans me regarder, fixant la porte fermée de l’auberge.
« C’est Snogorus, mon apprenti. Ne faites pas attention à lui ».
Elle marqua une pose et la tempête parut un instant se calmer, épargnant la carcasse frêle du George Dindon. Armande braqua son regard noir sur moi. Je me sentis dévisagé de l’intérieur.
« Nous avons des choses plus importantes à faire, n’est-ce pas ? Et plus dangereuses… ».
Sa question n’attendant pas de réponse, je m’apprêtais à sortir mon grapheur portable pour prendre quelques notes lorsqu’elle me stoppa net.
« Plus tard, jeune homme, plus tard. Et puis, ajouta-t-elle plus bas, il ne vous sera d’aucune utilité où nous allons… ».
« Et où allons-nous, à ce propos ? ». Je fus surpris d’entendre ma voix trembler. Dans le vacarme des vagues en contrebas, on entendit à peine ma question.
« En mer, jeune homme. En mer. ».

Armande
montra du doigt l’embarcadère rouillé et submergé par une écume poisseuse. Elle m’adressa un second sourire. Dans sa bouche entrouverte je voyais des gouffres d’ombres béants qui m’appelaient.
Je n’avais jamais rien vu d’aussi inquiétant que ce sourire.

jeudi 3 juillet 2008

Face


Elle regardait son visage. Elle le trouvait beau, bien sûr. Mais c’était plus que cela. Il se dégageait de ces traits et de ce menton comme une évidence. Comme si tout d’un coup elle se retrouvait avec quelque chose sur les bras. Quelque chose qu’elle ne parvenait pas à définir, qui alourdissait tout son corps. Elle sentait un creux, une stabilité en elle quand elle le regardait. Peut être la certitude que si ce sourire ne changeait pas, il y aurait toujours quelque chose qu’il valait la peine de regarder et de chercher dans ce monde.

Elle détourna la tête, un moment.

Un moment seulement. Il ne semblait pas gênant d’admirer ce visage, quand tout en lui démontrait qu’il était là pour qu’on le regarde. Parce qu’il montrait tant de choses. Intérieurement, elle retraçait du doigt ses traits, passait sur la mâchoire, le nez, l’arcade sourcilière. Elle cherchait un détail, comme une explication. Une clé, quelque chose de formulable. Mais les mots étaient imparfaits. Équilibre, symétrie, finesse… C’était trop fade, encore.

Un rayon de soleil l’éblouit, d’un coup. Elle se sentit attirée. Il lui paraissait inimaginable que les gens, autour d’elle, ne restent pas surpris, fascinés, certains, devant ce visage. Il y avait dans ces lignes un achèvement, une unité dont elle ne pouvait se détacher. Elle se sentit revivre, touchée intimement.

Elle sourit, dans le vide, à personne.

Eströhne (3): ou comment Mabro acheta une montre


Devos suivit du regard la manche tachée de Mabro. Faisant claquer sa langue contre son palais il parut marquer sa désapprobation et abaissa lentement mais fermement le bras toujours crispé de notre pauvre héros. Il tapota du doigt l’affiche.
« Le malheureux, il a pas fini avec les emmerdes. Quand on connaît les méthodes d’interrogation de la Garde… Surtout depuis que le Temple la dirige ». Mabro regarda son propre visage qui s’étalait à l’encre noir sur la page et déglutit. La Garde n’avait pas fait figurer l’habituel « WANTED », mais c’était tout comme. Et il était impossible que ce Devos ne reconnût pas ces traits.

Pourtant aucune insinuation ne transperçait dans les paroles du revendeur. Son regard torve restait braqué sur Mabro, attendant une réponse à propos des montres plutôt que brûlant de la flamme du dénonciateur. Ignorant s’il devait cette chance à la stupidité de l’homme où à sa corruption (le prix de la montre devait être élevé pour acheter un tel silence), Mabro restait de marbre.
« Alors, ces montres ? »
« Euh… arggh non merci, pas intéressé ». Mabro allait partir en se glissant le long du mur lorsqu’il entendit l’autre murmurer, comme insufflant le magas (le vent magique que modèlent les mages) à une incantation. « Pourtant cet homme, ce… Ryvraër, je crois, m’avait assuré que je trouverais ici mon acheteur… ».
Mabro se figea.

Car il faut savoir que Ryvraër était ce nom qu’un jour son père lui avait donné, à l’aube de ses dix ans. Un soir ils étaient sortis, marchant jusqu’à la vieille cabane où sa mère lui avait donné la vie. La nuit était complète. Sur la table cérémonielle, son père l’avait fait asseoir, s’était mis à sa hauteur en s’agenouillant.
Puis il lui avait parlé : de tout, de son avenir, de ses ancêtres, de ses principes… « Tu es un homme aujourd’hui. Tu peux savoir ». Mabro n’avait jamais vraiment su s’il avait su, et ce qu’il avait su à ce moment-là, et même après, car beaucoup de ce que son père lui avait dit était resté obscur dans sa mémoire. Mais il se rappelait très bien qu’ayant achevé cette nuit d’initiation, son père s’était relevé, l’avait tendrement ébouriffé de sa main valide, et lui avait glissé à l’oreille : « Tu seras brave, je le sais, Ryvraër». La sonorité étrange de ce nom n’avait pu quitter Mabro, quoi qu’il ait oublié de ce moment étrange au fil des ans. A ce mot prononcé par son père, il s’était senti fort, habité par une certitude qu’il ne s’expliquait pas.
Et voilà qu’un étranger, qu’il ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam, et qui plus est qu’il cherchait désespérément à fuir, venait de faire résonner l’air matinal de ce nom qui était le sien.

Prenant l’air le plus naturel possible, Mabro se tourna à nouveau vers Devos, détournant à regret ses pieds de leur préoccupation la plus urgente : décamper.
« Hum, si par hasard il m’arrivait de changer d’avis, ce serait… »
« Peu cher pour vous, monseigneur ».
Les lèvres de Devos se tordirent dans un rictus un peu sadique. Mabro réfléchissait à toute vitesse, sans rien comprendre à rien. Impossible de mettre de l’ordre dans toutes les pensées qui torturaient sa gueule de bois. Comment ce Devos connaissait-il son vrai nom ? Et qu’étaient ces montres ? Elles avaient une façon non commune d’indiquer l’heure… Pourquoi ne parvenait-il à détacher ses yeux de ce métal liquide, comme s’il en attendait une révélation ?

Il prit sa décision. Ou plutôt ne la prit pas. Mabro avait toujours fonctionné à l’instinct. Il était du genre à faire quelque chose pour le simple plaisir de se dire, après coup, qu’il l’avait fait, et qu’il l’avait fait sans y être forcé, par simple choix. Il voyait dans cette conduite indifférente à tout la preuve de sa liberté sans entraves. Il refusait toute attache, faisait parfois des choses stupides sans en éprouver de regret. Liberté… mais aussi, croyait-il parfois, destin. La superstition lui était d’un réconfort certain. Elle l’assurait qu’il n’avait pas à décider, puisqu’on décidait pour lui, tout en lui donnant l’impression qu’il agissait toujours selon son libre-arbitre.

Résolu, sans savoir pourquoi, Mabro sortit de sa poche un billet de 10 lyans un peu roussi. (Fichtre, depuis quand possédait-il une telle richesse ?). Devos l’attrapa rapidement, faisant jaillir sa petite main aux ongles longs de ses amples manches, avec rapacité. Il saisit entre deux doigts une petite montre au bracelet brun. Il la fit osciller devant les yeux embrumés de Mabro.
« Celle-ci vous convient parfaitement, croyez-moi ».
Mabro s’en empara. Devos s’éloignait déjà à grands pas, comme poussé par une force invisible à s’éloigner de ce lieu ravagé. Il tournait au coin de la rue, quand Mabro lui hurla, sans prendre garde aux premiers passants qui le dévisageaient avec curiosité, lui, son accoutrement crasseux et loqueteux, et sa figure pâle :
« Et elle indique quoi votre fichue montre ?! »

Mais Devos avait disparu. De rage, Mabro faillit envoyer le petit instrument, qu’il tenait toujours dans sa main droite, faire une plongée sans retour dans les eaux boueuses de la Tamise.
« Elle indique l’heure, bien sûr. L’heure de ce qui arrivera, que vous le vouliez ou non ».
Mabro regarda autour de lui, partagé entre la surprise et l’affolement. « Qui a parlé ? Vous m’entendez ? Qui êtes-vous ?! ». Personne ne se trouvait à moins de dix thures de lui. Les badauds n’osaient approcher du Dragon Bleu, ou plutôt de ce qu’il en restait. Et ils commençaient à trouver bizarre qu’un inconnu au costume en lambeaux, roulant des yeux comme un homme atteint de fièvre, tourne seul dans le périmètre de sécurité délimité par les balises de la Garde.

Un hurlement retentit dans l’air frais de la capitale. Mabro se jeta sous un porche à deux thures de là. Il décida de mettre en veille son cerveau qui ne lui était plus d’aucune utilité pour l’instant, et de laisser son corps prendre le dessus. Sa nuque ne le faisait plus autant souffrir, ses jambes arrivaient à supporter son embonpoint (son embonpoint ? Il n’avait pas l’impression d’avoir pris tellement depuis ces dernières semaines...).
Rejoindre Gouijour, le quartier sud de Lurdane. Là, il pourrait se cacher un moment. La Garde ne viendrait pas tout de suite fouiller ce taudis où voleurs, violeurs, escrocs, meurtriers en cavale se terraient comme dans une immense fourmilière, se nourrissant du corps pourrissant de la vieille Eströhne.

Rabattant sa capuche, Mabro se dirigeant vers le Pont d’Antan, rasant les murs. Il parvenait à se fondre dans la foule, plus ou moins. Restait ce fichu boitement dont il n’arrivait pas à se débarrasser. Il craignait d’avoir été plus rudement touché dans la bagarre d’hier soir qu’il ne l’avait d’abord cru.
Il n’avait plus assez en poche pour acquitter le droit de passage à l’entrée du pont. Il se glissa derrière la grille des égouts la plus proche, utilisant ses talents de crocheteur de serrure. L’obscurité moisie le saisit à la gorge, étouffante. Il se concentra sur son chemin. Ne pas se perdre ; il ne manquerait plus que cela ! L’idée le fit rire. Il voyait tout à fait les titres des gazettes, dans quelques jours : L’Assassin du Dragon Bleu retrouvé errant dans les toilettes de la ville ! Ca au moins, ça ferait vendre.

Dans le dédale des couloirs humides de pourriture, il prit à droite, puis à gauche. Tout droit. « Puis à gauche, deux fois, demi-tour, puis à droite… ». Mabro se récitait à lui-même le trajet à prendre pour rejoindre la Troisième Ceinture, de peur d’oublier un embranchement.
Sa cuisse le démangeait. Il continuait à marcher tout en se grattant mais la douleur devint soudain plus violente, presque brûlante. Il vit que de sa poche droite jaillissaient des étincelles grises. La montre ! Il la sortit rapidement et poussa un long cri quand ses doigts entrèrent en contact avec le métal chauffé à blanc. La souffrance était telle qu’il sentit les larmes lui monter aux yeux.

L’objet traînait par terre, dans une flaque sombre, là où il l’avait lâché. Serrant sa main droite rougie, Mabro tourna son visage vers le cadran où des couleurs, des formes, se déplaçaient, comme douées d’une vie propre, et cherchant à s’extirper du cadre trop étroit de leur existence. Puis deux aiguilles apparurent, tournant en sens contraire pour venir finalement s’immobiliser et indiquer une heure : 8h40. L’image se brouilla et un homme d’une taille semblable à celle de Mabro, au-dessous de la moyenne, apparut. Son visage était dissimulé par un chapeau à larges bords. Mabro reconnut les abords du Palais Royal, lieu souverain du pouvoir politique et magique, maintenant que le Temple avait pris les rênes du royaume en plaçant comme hériter au Trône son Grand Mage, le jeune Aéristophe II.

L’inconnu au chapeau lui tournait le dos, mais, chose étrange, il semblait brandir au dessus de son épaule, vers Mabro, un message en Guerge (langue populaire que peu, parmi les puissants de ce monde, connaissaient). S’approchant encore plus du cadran, tout en restant prudent, Mabro vit la montre opérer un zoom sur le papier que tenait l’homme.
Il y lut : « Je vous attends, Ryvraër ».

mercredi 2 juillet 2008

Estival


Respirons le coeur chaud de l'été qui s'annonce
Comme une étreinte tiède
Demain je dormirai dans le blé d'or qui fonce
Et dans tes cheveux raides

Tu prendras pour de faux la pose effarouchée
Des vierges innocentes
Ton rire s'égrènera en tintements sucrés
Glissant sur nos deux ventres

Combien de fois nous vînmes trinquer près du lac
Où naquit notre idylle!
Se souvenir des sauts des enfants dans les flaques
Et des bonheurs fragiles

La courbe de ton cou capture mes sourires
Je te dis que je t'aime
Et l'épaisse chaleur des soirées qu'on respire
A le goût d'un poème

mardi 1 juillet 2008

Ben Barnes


Let's dream
Or pray