samedi 31 mai 2008

Lui Je N(ous)


Comme un étau nos deux coeurs se serrent
C'est trop douloureux d'aimer notre distance
Trop difficile d'être ton aimant
Et quand je ne sais plus faire, je prends ta plume

Regarde le jour qui brille en gouttes pâles
La banalité d'une vie me semblent nos merveilles
Je fouille sans gêne le corsage du monde
Pour y trouver enfin ma réponse à toi

Mon beau courant qui part et vient
J'aime à lâcher la barre, envoûtée
Mon balancement brusque, t'appelle-t-on passion?
Non c'est mon pauvre coeur qui s'emballe sur la grève

Alors le temps prend ses formes étranges
Il irrite mes sens autrefois sans allant
J'ai ta voix dans ma tête comme l'aurore qui chantonne
Ma tête d'alouette prête à faire ton faux pas

Est-ce l'attente qui tremble dans ces lettres tracées?
Le bruit du monde se plaît à frissonner en moi
Toi ma rêverie, mon décalage
Qui crève lentement mon ballon d'hermétisme

Seule l'écriture m'arrête ici
Mes lèvres sans mots ont renoncé
J'ai peur du vide, du silence, de l'instant qui viendra
Mon extase inouïe te respire tout bas

Eströhne (2): ou les lendemains de beveurie


« Eh, la gueusaille, bouge-toi le train ! ».

Une cascade glacée rinça la figure sale de Mabro. La source d’éternelle jouvence ? Avait-t-il rejoint les muses enchanteresses et les nymphes des sources ? De vagues échos se répondirent dans sa tête. L’impression qu’une équipe de foot avait élu domicile dans les circonvolutions de son cortex, et que le ballon rebondissait dans la lucarne de son crâne. Des gouttes brunes, se faufilant à la commissure de ses lèvres, lui apprirent que c’était l’eau de la Tamise et sa crasse sombre qui ruisselaient sur son visage. Sortant de son demi sommeil, Mabro se releva brusquement, juste à temps pour balancer un coup de pied au balayeur en vêtements verts qui venait de rabaisser sa dignité.

Il commençait à faire jour. Mabro avait passé la nuit sur les pavés, au milieu des épluchures de pommes de terre, échappant de peu aux contenus peu respectables de sauts vidés depuis le haut des fenêtres alentours. Le Dragon Bleu gisait quelques mètres plus loin, sa porte éventrée. Et Mabro n’avait pas la moindre idée de ce qui s’est passé.

Il avança en titubant, grimaçant lorsque ses jambes engourdies refusent d’obéir. Un garde en habits d’argent, de l’autre côté du pont, poursuivait sa marche matinale et les premiers saltimbanques installaient leurs estrades. En s’approchant des murs noircis de la taverne, Mabro chercha vainement à repriser l’écharpe trouée de sa mémoire. Un peu comme un puzzle dont on lui aurait piqué des pièces.
Soufflant fortement, appuyé contre le mur, sa tête frôla un bout de parchemin placardé sur le bois du volet d’où dépassait un poignard. On pouvait y lire :
« Mabro Réann, ex-membre du Séminaire d’Eströhne, répondant à la description suivante (…) est recherché par la Garde-en-Chef. Toute personne susceptible d’apporter des précisions utiles à l’enquête est priée de se rendre à la caserne de surveillance la plus proche ».

Dans la tête de Mabro, tout un tas de petits engrenages se mirent à cliqueter. Les rouages de sa mémoire avaient beau forcer, il lui semblait qu’il se balançait au dessus d’une plaie béante par laquelle tous ses souvenirs avaient fui. Et parce qu’il était impossible qu’une convocation de la Garde soit une simple invitation courtoise, il commençait à craindre que son ivrognerie ne l’ait conduit à agir de façon peu raisonnable…

En tous cas, impossible de faire jaillir la moindre étincelle de cette obscurité où il se trouvait plongé. Il revoyait nettement Rosie, au bar, il revoyait la Brigade arriver en trombe… Sa nuque revoyait probablement le coup qu’il avait pris, vu les élancements qui la déchiraient. Et puis plus rien. Mais à voir l’état du Dragon, la suite n’avait pas dû ressembler à un bal de charité.

Mabro passa la tête dans l’embrasure calcinée d’une fenêtre disparue : à l’intérieur, une bonne partie du mobilier avait été ravagée par les flammes. Celles-ci, probablement alléchées par l’alcool saturant les chopes et jusqu’à l’atmosphère ambiante, avaient crû joyeusement. Des lambeaux de capes et des chapeaux transpercés de flèches gisaient ça et là. Des éclats de verre tapissaient le sol. Il n’y avait pas âme qui vive.

« Monsieur achètera bien une montre ? ».
Une main s’abattit sur l’épaule de Mabro et le tira violemment en arrière. Il se retrouva face à un homme maigrelet d’une trentaine d’années, de petite taille et dont les os saillaient sur les avant-bras, mais doué d’une force impressionnante. « Devos, meilleur fournisseur en ville de ces petites merveilles », proféra ce dernier en lui tendant la main droite, tout en gardant la gauche fermement agrippée au poignet de Mabro. Mabro, toujours passablement mal réveillé et tentant vainement de redescendre sur terre, ne put s’empêcher de trouver la situation étrange. Mal à l’aise, il essaya de se dégager de l’emprise de son petit interlocuteur, mais celui-ci le repoussa brusquement contre la chaux noircie du mur. « Vraiment, vous devriez regarder. Ça n’est pas si cher pour ce que c’est… ».

Mabro baissa enfin les yeux sur le manteau que ce soi-disant « Devos » tenait entrouvert. Sur les deux pans intérieurs étaient accrochés une multitude de montres de teintes plutôt sombres, et de formes variées. Frappé par le silence ambiant qui tout d’un coup tomba sur la rue, Mabro remarqua qu’aucun des objets ne possédait d’aiguilles. Il s’approcha plus près et s’aperçut que chaque cadran semblait contenir un liquide épais et chatoyant, un peu comme du mercure. Cela formait une petite mare sous le verre de la montre, dans laquelle des signes flottaient dont il ignorait la signification. Et en se penchant encore un peu plus, Mabro crut distinguer son reflet délavé dans le blanc d’un de ces taches de couleur visqueuses. Etrange… Le visage qui lui faisait face semblait avoir vieilli de plusieurs années ; des rides lui couraient autour des yeux. Soudain, un éclat rouge brouilla l’image et la vision du parchemin signalant qu’il était recherché par la Garde vint clignoter à la surface du métal bouillonnant. Mabro se releva d’un geste sec et parvint à se dégagea de l’étreinte des doigts noueux. Il plaqua son bras droit sur le mur, masquant, sur la feuille blanchâtre qui voletait dans la brise, le portrait du présumé coupable qui lui ressemblait comme deux gouttes d'eau.

« Monsieur est intéressé ? »

jeudi 29 mai 2008

***


Parfois j'ai juste envie d'envoyer chier le monde
Et cette vie que je porte
Parfois j'ai juste besoin d'ouvrir cette putain d'bonde
Et de claquer la porte

dimanche 25 mai 2008

Lettre à


Sur tes joues des larmes avaient coulé, sans que je sache pourquoi. Je t’avais serrée dans mes bras, comme d’habitude. Pourtant, tu n’avais plus frissonné au contact de mes doigts. Nous étions assis, sur le pont enjambant maladroitement la Seine. Les touristes et les Parisiens passaient dans leurs bulles colorées : jaune soleil pour les vacanciers, grises gasoil pour ceux qui partaient bosser. Ton regard était pâle, figé sur l’horizon découpé des édifices. Tu avais déchiré le haut de ta manche et ton bras blanc pendait dans le froid.
Et tu pleurais. Sans savoir pourquoi, disais-tu.

Un jour tes larmes avaient cessé. Et j’avais encore plus souffert de voir ces yeux secs, sans souffrance ni joie, que d’être témoin de tes plaintes silencieuses.

J’avais oublié de fermé la porte. Tu avais pris la clé des champs, un jour où, la pluie ayant lavé la nuit pendant des heures, la rosée du matin semblait si virginale. Les boutons de rose étaient encore clos dans leurs corsets veloutés. Sur le chemin de terre, longeant le ru au bout du jardin, j’avais remarqué l’empreinte de tes pieds nus. Mais tu revins, ce jour-là. Le soleil couchant accueillit ta course esseulée. Tu vins te jeter dans le berceau de mes bras, sans rien dire. Mon inquiétude s’effeuilla et je souris.
Pas toi.

Mon boulot ne m’avait plus pesé. Tout devenait si indifférent à tout. Je n’avais même plus le sentiment d’être exclu d’un monde où le bonheur restait possible. Tous les gens autour de moi arboraient cet air fatigué que je croisais chaque matin dans la glace. Ceux qui étaient malheureux à l’idée du bonheur des autres m’apparaissaient ridicules car ils ne voyaient pas que nous étions tous dans le même bateau.

Un autre jour, passant près du cimetière, j’avais garé la vieille Peugeot sur le bas-côté et sali mes chaussures dans l’humus d’automne pour te rejoindre. Ta chevelure d’or, mêlée par le vent à des regrets anciens, flottait. Dans ce balbutiement clair, l’ilot de ton visage n’avait pas ridé à ma vue. Tes yeux étaient restés baissés, comme cousus à la petite tombe. Tu n’avais pas déposé le bouquet, et en prenant le bus pour rentrer, tu l’avais laissé sur le banc. Je m’en souviens, parce que je n’avais pas pu le jeter quand je l’avais trouvé là.

Des blouses blanches étaient venues chez nous, de plus en plus souvent. Entre deux visites, je t’emmenais voir les grands érables, près du lac. Ta petite main glissait dans la mienne sans s’accrocher. Comme ta vie. Les saluts des voisins étaient différents.

J’avais repris la guitare. Les cordes qui vibraient dans la poussière de l’air, les dimanches, semblaient te plaire. Je t’aimais tellement que j’aurais usé mes doigts jusqu’au sang sur ces tiges de métal.
Tu n’étais pas malheureuse, je ne croyais pas. Je ne pensais pas l’être non plus. Ton absence avait passé sur moi comme la main du potier sur le vase qu’on forme. J’étais couvert en permanence de cette glaise silencieuse et indolore.

Je refaisais sans cesse les gestes du quotidien qui meublaient ma vie. Parfois, je sortais en costume, attrapais ma valise noire et montais en voiture. Je fermais la porte avec un claquement sec, et j’attendais ton sourire à la vitre du rez-de-chaussée, comme autrefois. J’espérais que ta main caresserait les rideaux comme un au-revoir. Puis je ressortais. Je rentrais à la maison, déposant la valise et la veste de costume, et montais te voir. Tu n’avais pas bougé.

Puis ils t’avaient emmenée. Je venais te voir, souvent. J’avais un temps réussi à peupler de mots ces distances infinies qui nous séparaient. Puis j’avais compris que seul le silence nous liait encore, que lui seul me rapprochait de tes abîmes de glace. Je m’étais tu, sans cesser de te rendre visite.

Le temps avait passé. Vite ou lentement… ces mots n’avaient plus de sens pour moi. J’étais aujourd’hui comme j’avais été des années plus tôt, comme je serais des années plus tard. Sur le guéridon, dans l’entrée, le vase où j’avais mis le bouquet séché avait disparu. Je l’avais fait tomber par maladresse, un soir de décembre. Mon cœur n’avait rien ressenti à la vue du verre brisé.
Les albums photos avaient jauni seuls, sans ta main pour les tourner. J’étais revenu sur le vieux pont. Les couples y venaient toujours conter leurs amours de jeunesse. La Seine prêtait toujours son oreille à leurs récits naïfs.

Le téléphone avait sonné, sans que je l’entende. J’étais venu le matin t’apporter un foulard. La chambre était vide. La photo de notre mariage était retournée contre le bois congloméré du meuble. On était venu, on m’avait fait asseoir. Dehors un coucou avait entonné trois notes.
« Elle nous a quittés. Je suis désolée ».

Mes yeux étaient restés vides et secs, baissés et comme cousus au dessus-de-lit marron. J’étais sorti par l’arrière, et j’avais traversé le champ vert où le printemps s’ébauchait. Et j’avais rêvé qu’une fois de plus, tu étais partie. Que tu avais chaussé tes souliers fins par-dessus tes chaussettes dépareillées avant de prendre le chemin qui passait près du ru. J’avais inspiré le parfum odorant des tiges penchées et je m’étais souvenu des jours où je m’endormais dans le creux de ton cou, quand le soleil transperçait les persiennes.

J’avais laissé la très vieille Peugeot sur le parking et j’étais rentré à pied, le foulard noué au bras. Un pas de côté et l’automobiliste en face n’aurait pu m’éviter. La journée était belle, irradiant de bleu.
J’étais resté sur le bas-côté. Sans savoir pourquoi.

samedi 24 mai 2008

Corpus, oris: le corps


Elle passait ses mains humides sur les pétales d’une rose
Les gouttes y dessinèrent des arcs d’or
Et ça sentait si bon dans le jardin d’été
Une douce canicule étouffait les jupes pâmées sur l’osier des chaises

Une femme éleva la voix
De ses lèvres ouvertes une note pure, gémissante comme une lyre
Flotta dans l’air troublé de chaleur Des mains battaient
Un tambourin, des pieds frappaient la roche des terrasses grises

Les oliviers sommeillaient sous le sable brûlant
Les rubans ocres des chairs d’Orient nous ensorcelaient
Nous respirions avec peine oppressés par cette fougue
Chaude comme les tentations de nos amours charnels

Midi assommait nos souffles de ses bourdonnements
Des rythmes langoureux brisaient dans l’air leurs corolles odorantes
Les danseuses avaient la grâce de nos déesses
Dont les bras confondus en mirages tourmentent les coeurs

Les lèvres se faisaient désireuses de boire
Tous ces corps et ces sons mêlés aux saccades de l’encens
Le sourire d’une vieille passant le seuil dans la lumière jaune
Avait la blancheur des ongles des vierges

Et il arrive que ça se passe bien...


Vous voilà, tout moite et tremblotant. Vous atterrissez vous ne savez comment devant la porte indifférente d'une salle, dont le rouge vous évoque irrésistiblement l'entrée des Enfers où ronfle Hadès. Derrière cet amalgame de bois et de plastique vous attend l'horreur et le stress à leur plus haut degré de raffinement.

Vous allez passer une khôlle.

Vous n'avez jamais été aussi crispé sur le bracelet plastifié de votre montre, derrière bouée de sauvetage qui vous raccroche un peu à la réalité. Qui vous rappelle que vous allez simplement parler, pendant quelques minutes. Puis que tout sera fini. Finalement cette montre qui vous angoisse ne vous veut pas de mal. Elle devrait avoir la vertu apaisante des propos rationnels qu'on entend à longueur de journée; quoi de plus inévitable que le passage du temps, quoi de plus insignifiant, dans le cours inlassable de la vie, qu'une demi-heure à s'exprimer devant quelqu'un qui ne vous doit rien, à qui vous ne devez rien?

Mais voilà, cette relation lyophilisée, cette interaction impersonnelle et désinfectée, vous n'arrivez pas à vous l'enfoncer dans le crâne, et encore moins à l'incarner. Vous êtes là, vous êtes présent. Votre corps, vos mains, vos joues, vos yeux, votre voix... Pas moyen de se réfugier derrière l'anonymat de la plume. Ni même de faire comme si l'on s'adressait à un miroir.

Si encore l'autre avait la délicatesse de s'abstenir de tout signe de vie. Mais non. Ce que vous voyez dans ses yeux, dans ses mains qui s'agitent auprès de gribouillis hiéroglyphiques, c'est une distance froide et impitoyable. Parfois, c'est le découragement, ou l'incompréhension. Souvent, c'est le jugement. Vous avez l'impression que c'est cette phrase qui n'arrive pas à se terminer, ce mot qui n'est pas à sa place, cette transition qui se barre en couille, cette fausse rhétorique cousue de fils blancs, qu'on juge en vous.

Vous vous sentez exposé. Vous l'êtes. Et vous ne l'êtes pas seulement durant cette demi-heure interminable et trop courte. C'est tout votre corps qui se cabre, plusieurs heures avant le ding-dong fatidique de votre horloge de stress interne. Et vous ne comprenez plus comment vous pouvez avoir aussi peu de contrôle sur vous-même. Merde, après tout ce ventre il est à vous! Aucune raison qu'il ne se range pas aux exhortations parfaitement justifiées de votre conscience.

Vous avez l'impression de nager dans une piscine où les carrés de plastique des lignes d'eau se sont barrés. L'impression que quelqu'un a mélangé les drapeaux du slalom, sur la piste de ski. Alors qu'il importe avant tout que votre prestation soit claire et logique, vous avez le sentiment d'avoir malmené la mayonnaise en agitant la cuillère dans tous les sens, et qu'elle ne prendra pas.

Well, sometimes it happens . Et parfois non; dans ces moments-là, vous éprouvez la joie indicible d'avoir vaincu votre plus grand ennemi, c'est-à-dire vous-même.

Oui, il arrive même que ça se passe bien...

mercredi 21 mai 2008

Glace


Et un mot, un seul, vint mourir sur tes lèvres
Ce fut comme au printemps nos idéaux baignés d'aurore
Des montagnes bleuies du froid vermeil

Reflux en mousse de souvenirs
Vague où les phrases coulent des cieux qui se brisent
Et d'où tombe la neige

Ta tête blanche balançait des ans sans poids
Indolores dans leur cristal pâle
Tes regards voilés refroidissaient nos mots

Le chant du rouge astral astiquait les feuilles
Nos reflets luisaient, doux
D'oubli. Tes doigts crispés, sur le bord des âges

J'étais le souffle à ta bouche muette
Rameaux d'ombres fantômes, ivresse déchue
J'étais l'anse de ton repos mortel

"Je me souviens"... et tu disais
Refrain inerte où les doigts du pianiste ont mangé les touches
Brouillon d'amour; ce qui reste d'une vie

Et un silence, sans fin, résonnant des échos des coeurs
Qui meurent. A Phoebus qui sourie, grand Prince
un oeil se clôt. Défunte.

dimanche 18 mai 2008

Eströnhe (1): ou la beauté de notre ville de Lurdane


Il en fallait davantage pour démonter Mabro.

Certes, il n’avait plus un rond. Et même, il avait des dettes, ce qui l’obligeait, pour l’instant, à se terrer dans sa piaule misérable, en attendant que ses créanciers (taverniers, teneurs de bordels en tous genres) l’oublient un peu.

Certes, il avait été exclu du séminaire, après tout juste six mois de résistance acharnée.
Il avait fini par craquer. Il avait balancé à la tête du très sérieux Patriarche Ever, immaculé dans sa toge si blanche qu’elle semblait faire de la pub pour une lessive révolutionnaire, qu’il ne voyait pas comment les Sept dieux du Panthéon pouvait vivre dans Un seul Tout, celui du Cosmos infini de Lumière, et toutes ces conneries dont on leur rebattait les oreilles. « On a déjà du mal à vivre avec soi-même, comment voulez-vous que ces pauvres gusses, coincés pour l’éternité les uns contre les autres, aient le courage de continuer ? A mon avis, ça fait longtemps que y’en a un qu’a dégommé tous les autres. Ce qui ferait que le Sept Unique, bah… c’est qu’un Un unique. Evidemment, ça a moins de gueule ».
Il avait débité ça, l’air amusé et faussement pensif, devant les yeux baissés de ses camarades, qui attendaient la sanction inévitable. Et Mabro n’avait même pas eu la jouissance de voir le Patriarche rouge de colère, vociférant au milieu de ses postillons : « Elève Mabro, vous êtes renvoyé ! ». Non, le professeur avait dit, avec le calme désespérant des glaciers éternels : « Je suppose qu’il n’est pas besoin de vous indiquer la sortie ? Néanmoins je vous conseille plutôt la porte que la fenêtre. A moins que votre athéisme vantard ne vous aide à vous procurer une paire d’ailes ? ». La salle de classe se trouvait au 160e étage.

Certes, Mabro n’avait donc plus ni moyens de subsistance, ni possibilité future d’acquérir de tels moyens. Nadia l’avait jeté négligemment, la dernière fois qu’il était venu lui demander de l’argent. Son chat, Moustif, était parti courir le monde, laissant pour toute reconnaissance des soins que Mabro lui avaient donné lorsqu’il l’avait recueilli, sa légendaire ingratitude.

Un bout de carotte qui traînait sur une table. Une paire de chausses grisâtres trouées. Et une barbe de trois jours qui commençait à lui manger le visage. Mabro décida qu’il allait sortir. Du haut de la chaumière où il avait déniché son logement de misère, il n’avait même plus d’eau. Lorsqu’il tournait le robinet, des gouttes brunes maculaient l’évier et semblaient tomber à regret.
Alors autant aller prendre sa douche sous l’averse qui tombait. Mais Mabro avait l’impression, en plissant les yeux à travers ses carreaux sales, que même la pluie était gluante de crasse.

Dehors, les pavés résonnaient doucement sous les longs crachats de pluie. Le vent chatouillait les étals des marchands, soulevant les jupes des badauds. Un temps de chien. Mabro marcha les mains dans les poches pendant presque une heure, insensible au fait que ses bottes se remplissaient d’eau, émettant des « floc-floc » sonores dès qu’il faisait un pas.
Il passa devant des théâtres fermés pour cause d’incident de Magie. A la dernière représentation de Roméo & Juliette, une semaine plus tôt, le Théâtre de l’If avait été victime d’un étrange phénomène. Au moment même où Roméo, tourmenté par les affres de la passion, avait porté le flacon de poison à ses lèvres, au moment même où le public retenait des larmes et des reniflements, le Grand Hubert, l’illustre acteur qui jouait le héros de la pièce, s’était soudain levé en poussant un effroyable hurlement de rire. Et pendant plus d’une dizaine de minutes, sans que rien ni personne ne puisse l’arrêter, son fou rire avait continué, donnant à la tragédie de Maître Shakespeare l’allure d’une comédie de boulevard. On avait su par la suite qu’un démon Rigoleur avait ensorcelé le breuvage.
L’idée que de tels garnements, et que peut être d’autres individus moins inoffensifs, étaient lâchés en toute liberté dans la ville de Lurdane, avait passablement refroidis les amateurs de théâtre, mais aussi ceux de jeux du cirque, de combats de gladiateurs, etc… qui pullulaient dans ce grand fourmillement formant la capitale de notre sainte terre d’Eströnhe. Les enquêteurs du Temple avaient pu mener leur enquête en paix. On ignorait toujours si elle avait été fructueuse.

Le Dragon Bleu était déjà bien rempli. Dans l’ambiance chaude, à l’odeur âcre de sueur et d’urine, Mabro se blottit, une chope à la main. Bill, le patron de l’établissement, devait bien être le dernier individu dans cette ville à lui accorder un crédit. Mais bon… Mabro n’avait jamais eu aucun scrupule à profiter des imbéciles. Si ce n’était pas lui qui le faisait, ce serait un autre. Rosie, attablée au bar, draguait un moustachu déjà usé par les années. C’était plus la bourse qui pendait à sa ceinture que la beauté de ses traits qui intéressaient la courtisane… « Chacun sa merde », pensa tout haut Mabro.

Il bascula la tête en arrière, vivement, pour éviter de se prendre un plateau qui revenait vers le comptoir, coincé sous le bras d’un gros homme rougeaud. Mabro ne put jamais dire, par la suite si c’était le choc de son crâne sur le bois noir du banc, ou la bière, ou un coup de gourdin égaré qui l’avait assommé. Toujours est-il qu’alors que les membres de la Brigade Vile faisaient bruyamment leur entrée dans la taverne pourrie, une fléchette, lancée à pleine vitesse, vint se ficher dans le montant de la porte, à deux doigts du nez de Rahomert III. Ce qui déplut fort à ce gras combattant toujours prompt à mettre en mouvement ses biceps graisseux.

La bagarre s’engagea, engloutissant le corps inconscient de Mabro.

mardi 13 mai 2008

Crescendo/Decrescendo


J'ai regardé la terre, enfant
J'ai pleuré les nuages
Sur leurs têtes, au froid printemps
Régnaient les anges sages

J'ai marché vagabonde la nuit
Sous les doux peupliers
J'ai cherché dans l'herbe moisie
Les ombrelles des fées

J'ai chéri ces peuples anciens, curieux
Elfes, lutins et trolls
J'ai voulu offrir mon coeur amoureux
En le laissant au sol

J'ai dormi d'un rêve où la Belle Aurore
Se peignait sous les porches
Tendait ses doigts rougis, ses poignets forts
Comme d'étranges torches

J'ai flirté gentiment avec l'air frais du soir
Galamment il m'a dit
Que sa tête tournant la mienne faisait voir
Des beautés inouïes

J'ai fumé dans les prés à l'heure où les amis
Deviennent tâches sombres
Allongées, quand les tiges jaillisent, flétries
Sur mon sommeil qui sombre

J'ai péché bêtement en cachant à mon coeur
Le malheur qui venait
Dans le ciel brun gisaient des grimaces de peur
Sours l'aile qui tremblait

J'ai plongé dans un puit, rond et noir, comme un point
A l'haleine fétide
J'ai vu les parois lisses meurtries de mes poings
Et le sang rouge acide

J'ai hurlé, mais sans rage
Sans rien
J'ai cherché un visage
Humain

Je n'ai su que des souffles
Eteints
Et des gorges qui pouffent
Sans fin

samedi 10 mai 2008

Khalil Gibran, Le Prophète


Et une femme qui tenait un bébé contre son sein dit,
Parlez-nous des Enfants.

Et il dit :
Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à la Vie.
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne sont pas à vous.

Vous pouvez leur donner votre amour, mais pas vos pensées.
Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez héberger leurs corps, mais pas leurs âmes.
Car leurs âmes résident dans la maison de demain que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves.
Vous pouvez vous efforcer d'être comme eux, mais ne cherchez pas à les faire à votre image.
Car la vie ne marche pas à reculons, ni ne s'attarde avec hier.

Vous êtes les arcs desquels vos enfants sont propulsés, tels des flèches vivantes.
L'Archer vise la cible sur le chemin de l'Infini, et Il vous tend de Sa puissance afin que Ses flèches volent vite et loin.
Que la tension que vous donnez par la main de l'Archer vise la joie.
Car de même qu'Il aime la flèche qui vole, Il aime également l'arc qui est stable.

(Ce poème a été lu au baptême de ma soeur)

Lassë


"Dis Papi, tu crois que tous les gens qui sourient sont heureux?"

- Eh bien, ça dépend. Il y en a qui sourient parce qu'ils le sont, effectivement. Tu vois cette femme là-bas? Tu crois qu'elle est heureuse?

- Elle a l'air. Elle rayonne et les gens autour d'elle gravitent comme autour d'une étoile.

- Hum... Mais il y a aussi des gens qui sourient lorsqu'ils sont tristes, par désoeuvrement, par résignation.

- Comment peut-on sourire si on est triste? Comment peut-on pleurer et sourire en même temps?

- Pour moi pleurer, c'est déjà vivre. Il y en a qui attendent des années pour pouvoir pleurer, parce qu'ils n'y arrivent pas. Et quand ils sentent les larmes qui viennent, ils savent que le moment est venu de se laisser aller. Tu sais, un peu comme s'ils pouvaient se reposer, pour une fois, au lieu de tout contrôler. Comme lorsqu'on se couche au poker. Ils ont parié contre la tristesse, ils ont perdu. Et cette défaite a un goût de bonheur; ils ne se sentent pas coupables. Tu ne crois pas qu'on peut être heureux quand on a, comme ça, l'impression de s'être libéré?

- Comme ce monsieur, là bas, dans l'herbe? Regarde, il balance ses jambes dans le vide, on dirait qu'il brasse des regrets sans nombre... Ses yeux se ferment parfois, comme si ce qu'il voyait était trop douloureux.

- Lui, il a l'aura des hommes qui communiquent avec le passé. Un médium de la vie, si tu veux. J'ai des amis qui ne se retournent jamais sur ce qui leur est arrivé. Ou plutôt, les instants passés ne sont plus là que par des mots, des images un peu fausses. Comme si tu ne te rappelais plus de tes amis d'enfance que par les photos que tu as gardées dans un album, tu comprends? Mais cet homme, j'ai l'impression que si ses jambes ont aussi peu d'appui, c'est parce qu'il est à mi-chemin entre ce qu'il a été et ce qu'il est aujourd'hui.

- Peut être qu'il a vécu des choses importantes pour lui, ici?

- C'est peut-être ça. Les gens aiment cet endroit, et quand ils vont se balader, ils peuvent rarement s'empêcher de revenir sur les lieux de leur jeunesse, même si ça les fait souffrir.

- Mais si c'était de bons moments, comment est-ce que ça peut leur faire mal de les retrouver?

- Tu es jeune, toi encore... Un jour tu sauras que quelque chose de cette jeunesse est passé. Quelque chose qui aura disparu à tout jamais. Ça ne sera pas grave, mais ça te rendra triste. Nostalgique. Et là, peut-être, en souriant, tu seras triste."


L'enfant s'appuya sur l'épaule du vieil homme, l'air songeur. La petite tête brune tranchait sur la grande tête blanche.

vendredi 9 mai 2008

Message personnel


J'ai passé une après-midi merveilleuse. Et encore, ces mots ne suffisent pas, même s'ils sont déjà de trop. Revoir des gens comme si l'on s'était quitté hier, aborder les mêmes conversations, comme si le temps passé s'était fondu dans les parenthèses de nos vies désormais séparées.

Oui, c'est un message personnel. Comme j'en fais rarement. Mais comme il faut que j'en fasse, pour vous dire tout ce que vous me donnez sans même le savoir. Pour vous dire que celle qui écrit ces posts le fait grâce à vous.


Le Luco, tout verdoyant, guilleret, qui aguiche les étudiants en vacances (ou pas). Les pelouses qui suffoquent sous des montagnes de corps dénudés (ou pas). Les chaises verdâtres (tiens quand j'y pense elles ont la couleur de mes volets...), aux dossiers raides, solitaires ou en couple, qui invitent à la feignantise les pieds dont les orteils gigotent, trop heureux de respirer un peu d'air frais après l'enfermement tortionnaire de l'hiver.

Et des mots, des mots, dans des tourbillons de rires qui éclatent brusquement pour s'arrêter, brisés. Et une autre phrase qui sourit en mangeant nos mots. Des chuchotements, des crescendo où les notes sont répétées, accentuées, pour que le suspens puisse monter jusqu'au ciel bleu. Des regards, des médisances et les jupes qui se froissent dans l'herbe qui sent la terre. Les chaussures qui traînent et changent de propriétaires. Les bouches qui se déforment en tous sens, mimant l'effroi, l'étonnement, l'impatience, la curiosité, l'hilarité, la joie, le bonheur, l'émotion, le silence.

Des prénoms qui reviennent vivoter un instant. "Et une telle, qu'est-ce qu'elle devient?". Comme le pécheur, absent un instant de la berge où le soleil s'endort, qui revient tâter ses lignes et s'enquérir des carpes de l'étang. Des téléphones muets, dont on ne peut entendre les cordes vocales usées. Des victuailles qu'on enfourne dans des estomacs déjà lestés, pour mieux coller au sol.

Instants trop précieux pour qu'ils rejoignent la masse des souvenirs du quotidien qu'on abandonne, sur le bas-côté, dans le long chemin de la vie. D'ailleurs, je goûte en eux la certitude qu'ils me colleront pour toujours à la peau.

Rien n'a pour moi davantage la fraîcheur de l'espoir que ces discussions où l'on parle de ce qu'on a, et surtout de ce qu'on n'a pas. Où l'unique sujet de conversation autorisé est la déploration de la disparition d'une espèce non protégée, à savoir la gente masculine, sous nos latitudes. Où le fou-rire naît du ridicule qu'on expose sans crainte, sans vraiment coïncider avec lui. Où la langue se défait des inquiétudes du sens social car on sait qu'on échappe à tout jugement.


Et l'on repart le coeur léger et lourd. Lourd d'un au-revoir d'une durée inconnue. Léger d'une joie certaine et éternelle, d'une amitié trop simplement belle pour s'enrayer. Comme un souffle qu'avait terni la poussière et qui reprend sa profonde respiration, on regarde autrement. Non parce que les gens ont changé. Mais parce que nous avons changé.

Parce que nous avons changé pour devenir, plus que jamais, nous-mêmes.

jeudi 8 mai 2008

Scènes de la vie nocturne (Evrasth 3)


Vous comprendrez alors, que, secoué par les gros bras d’Harry, le cerveau ballotté dans ma boîte crânienne encore douloureuse de la cuite de la veille, tout ce fourmillement de réflexions, dans lequel je tentais de rassembler mes pauvres connaissances, ne m’amenait qu’à une seule interrogation possible : comment Harry, mon Harry, l’homme le moins distingué que je connaisse, celui dont aucun Cigar men n’aurait parlé avec le respect dû à un véritable gentleman (tout en enviant pourtant secrètement sa superbe collection), avait-il pu avoir un coup de pot pareil ? Je soupçonnais que c’était en réalité moins une question de chance que de mise à profit de relations anciennes et peu recommandables. Tout homme qui ressort des prisons interstellaires d’Arbane peut se targuer d’avoir à jamais ruiné sa réputation. Mais il emporte dans son exil social un carnet d’adresses sans durée de validité, une sorte de service après vente où tous les emmerdes trouvent réparateur. A charge de revanche.

Harry sursauta lorsqu’un de ses récepteurs couina avec une voix stridente : « Message en attente, message en attente ». Oubliant d’agiter ma pauvre carcasse, il parcouru rapidement la feuille tachée d’inscriptions minuscules que venait de cracher l’instrument irritant. Du Zargh, à ce que je pouvais distinguer. La facilité qu’avait Harry de se débrouiller dans n’importe quelle langue sans avoir recours à son traducteur m’étonnait toujours. Il disait que, petit déjà, il ne supportait pas les doublages au cinéma.

« Bon, faut que j’me grouille. J’ai à faire. Assieds-toi ».
Je me rendis compte qu’effectivement, j’étais resté debout depuis que j’avais immergé dans ce capharnaüm enfumé. Sans ménagements, Harry libéra d’un coup de son immense patte un tabouret sur lequel une pile de magazines semblait jouer un numéro d’équilibriste vieux de plusieurs mois, à en juger par la couche de poussière que le geste d’Harry fit mousser en nuage blanc, plus clair que les volutes noires qui s’élevaient encore de son cigare presque consumé.

« Alors, c’est quoi, cette fois, ton reportage du siècle ? », demandais-je, à peine curieux de connaître la réponse. Harry ne releva pas la pointe ironique de ma question, et prononça une série de mots hachés, sans prendre la peine de regarder son interlocuteur, c’est-à-dire moi. Il m’avait expliqué une fois qu’il ne voyait pas l’intérêt d’ajouter aux explications des mots le baume de l’attention compatissante et du regard faussement attendri.
« J’ai eu une info. Une expédition. Une drôle de bonne femme, Esther, je crois. Elle dit savoir où est enterré le trésor d’Evrasth. Prévu pour ce soir, rendez-vous minuit sur la grève. La vieille auberge d’Harteuf. Hum ? ». Il haussa un sourcil, demandant confirmation, non du fait que j’étais partant, mais simplement que j’avais bien saisi chacun des mots qu’il avait marmonnés. Le téléphone sonna. Harry tira violemment sur le fil, débranchant l’appareil dont la sonnerie s’éteignit dans un grincement rauque, comme si l’excès de tabac n’avait pas seulement touché les poumons de Harry.
« Ok ? » répéta-t-il.
« L’article, c’est pour quand ? »
« Après-demain. On te met dans le numéro de lundi matin. »

Sans rien ajouter, je sortis, replaçant mon chapeau déformé sur ma chevelure blanche et emmêlée. Harry déteignait sur moi ; à quoi bon énoncer l’évidence ? Nul besoin de me plaindre ; il allait de soi que cette expédition nocturne n’allait être qu’une foutaise de plus. Le trésor d’Evrasth ! Pourquoi pas la chaumière du Père Noël ? Si maintenant le journalisme d’investigation se mettait à courir après le pays des merveilles et les personnages de contes de fées qui le peuplent, dans les histoires pour enfants, et bien… soit.

J’avais l’après-midi devant moi pour retourner au bistro. Revoir Sabine, peut-être. Son corps, ses formes pulpeuses. Avant une nuit très longue de profond emmerdement.

mercredi 7 mai 2008

Type n°1 : le beau parleur


(Si vous vous sentez d'apprendre ça par coeur... vous pourrez sûrement, un beau jour, en user pour emmerder profondément quelqu'un qui sera obligé de vous écouter. Vous pourrez répondre avec sérénité, sans assommer violemment les gens, quand on vous demandera si c'est une bonne situation, ça, Normale...)


Panoramix: "C'est une bonne situation, scribe ?"

Otis: "Vous savez, moi je ne crois pas qu'il y ait de bonne ou de mauvaise situation. Moi, si je dois résumer ma vie aujourd'hui avec vous, je dirais que c'est d'abord des rencontres. Des gens qui m'ont tendu la main, peut-être à un moment où je ne pouvais pas, où j'étais seul chez moi. Et c'est curieux de se dire que les hasards, les rencontres forgent une destinée... Parce que quand on a le goût de la chose, quand on a le goût de la chose bien faite, le beau geste, parfois on ne trouve pas l'interlocuteur en face je dirais, le miroir qui vous aide à avancer. Alors ce n'est pas mon cas, comme je disais là, puisque moi au contraire, j'ai pu : et je dis merci à la vie, je lui dis merci, je chante la vie, je danse la vie... Je ne suis qu'amour ! Et finalement, quand beaucoup de gens me disent "Mais comment fais-tu pour avoir cette humanité ?", je leur réponds très simplement, je leur dis que c'est ce goût de l'amour qui m'a poussé aujourd'hui à entreprendre une construction mécanique, mais demain qui sait ? Peut-être seulement à me mettre au service de la communauté, à faire le don, le don de soi..."

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mardi 6 mai 2008

What are you...talking about?


Au lieu de la jouer poète professionnel, et de balancer mes compositions dans un post un peu solennel, dont rien que l'image invite au mysticisme, pourquoi ne pas passer un bon coup de démaquillant?

Lineyl s'assied devant son ordinateur. Le curseur se déplace avec agilité. Internet Explorer. Hotmail. Encore des messages de Facebook et des pubs de MSN. Blog. Pas de commentaires. A peine un soupir. L'écrivain méconnu est un exemple d'acharnement et de résignation. Connexion, nouveau message. Pause. Les yeux se lèvent de l'écran, caressant distraitement les entassements de végétaux réduits en pâte à papier, sur le bureau. Carnets. Des feuilles de toutes formes et de toutes couleurs glissées dans un petit carnet bleu; et en dessous, formant une pile improbable, d'autres carnets. D'autres couleurs. Des tranches de vie à la Riutort. La main saisit ce magma débordant. Elle déplie une page verte, interroge les mots écrits au stylo bic.

Et comme on réfléchit quand même un peu avant de balancer nos phrases sur le Net, même si parfois ça ne se voit pas beaucoup...

Lecture, crayon en main. Réflexion. On change deux-trois mots. Et ça peut donner ça :



Silence perdu
Foules immobiles
Nos coeurs qui dorment
Respirent tous bas

A l'aube tourmente
Bercent nos rêves
Bleus et roses
Amers et sourds

Sages mirages
De l'horizon faussé
Des souffles meurent
Et renaissent mourants

Sourire perdu
Baiser effacé
Une buée sur ta vitre
Mensonge (à) froid. Sans aversion.

Rien que l'oubli
Qui se démène
Rien que nos peines
Et nos vies

Je bats
Tout bas
Sans gêne

Sourire involontaire
Au point du jour
Le rayon que l'aurore souffle
Indifférence

Sans avenir
Promesses
Le don d'un instant
Qui ne se sait pas

L'insouciance volatile
Qui fume
Je tremble

Nous choyons des mots qui furent
Fenêtre, vitre, miroir
Notre coeur l'optique d'un espoir

Sourire perdu
Engourdi
Envol nouveau loin des mémoires

Chance à saisir?
Battement léger. Respiration qui s'éveille
Sur le pavé des jours

Gagnent l'aurore nos vieux serments
S'ils aiment encore


Les doigts, nez à nez avec le clavier, hésitent. Encore quelques pages. Les mots en haut à droite, où l'inspiration a manqué, et ceux où elle a trop débordé. Des phrases orphelines, destinées à rester à jamais l'ombre d'un possible non réalisé.


Si je pouvais toucher ton coeur de mes lèvres, je te ferais aimer cet amour qui n'existe pas encore.


Il y a aussi des poèmes entiers, datés, tout propres, bien recopiés. Mais qui paraissent aujourd'hui sans âme. Des fantômes qui n'ont plus personne à hanter. Il y a les strophes, plutôt réussies, des débuts d'écriture. Et la suite qui ne colle pas.


Grande ombrelle
Elle a posé sa main sur la tête du monde
Souri à nos bêtises, chéri nos têtes blondes
Et rebelles

Elle a fleuri le sol où marchait ses pieds nus
Toute douceur, bel ange des temps disparus
Elle a ri. Tout l'éclat fragile de nos coeurs
S'est dressé, blanc et pur, au milieu de nos heurs.


Et dans ces gribouillages qui n'ont d'histoire que celle du coeur, on trouve des citations _ "So we see the fate of millions unborn hanging upon the tongue of one man - and in that awful moment, heaven was silent", et beaucoup de ratures. Il y a des questions sans réponses et des vérités postulant à l'universel, dans leurs habits de crayon étriqués.

Et dans d'autres carnets, il y a la même chose. Et dans ma tête, et dans vos têtes, il y a la même chose. Un adorable fouillis d'où l'ordre est banni.

Alors Lineyl a le choix. Elle s'apprête à taper un des poèmes qu'elle a jugés potables. Elle se résigne. Le curseur clignote toujours dans la fenêtre blanche. Il lui faut un début, puis tout ira sur sa lancée. Et l'idée surgit comme le tintement du micro-onde lorsque c'est cuit.

"Au lieu de la jouer professionnel..."

lundi 5 mai 2008

Le problème, avec le bonheur...


Le problème, avec le bonheur, c'est que ça ne se provoque pas.
Ça ne s'achète pas.
Ça ne s'attrape pas. A-t-on jamais soigné contre la grippe du bonheur?
Ça ne s'explique pas.

On l'espère, on l'attend, on l'imagine, on le façonne, on le fait grandir, petit à petit, dans un monde de fantasmes et de désirs frustrés. Ou alors on le chasse dans les moments de tous les jours et il devient apeuré.

Le problème, avec le bonheur, c'est que plus on essaie, moins on y arrive. C'est qu'on ne comprend pas. On sait qu'on peut être heureux avec rien, comme on peut être malheureux avec tout. On sait qu'il surgit sans prévenir, et qu'il disparaît avant qu'on ait pris garde. On attendait le refrain suivant; la chanson est finie (qui est le p'tit malin qui s'amuse avec la télécommande...?).

Le problème, avec le bonheur, c'est qu'on ne peut pas en parler aux autres, qu'on soit sur une rive ou sur l'autre. "Nan, désolé, c'était sympa la soirée, j'vous adore tous, mais... je sais pas, je ne suis pas heureuse" : ça passe aussi mal que "C'est fou comme je suis heureuse alors qu'on est dans une merde pas possible. Tu la vis bien, ta prépa?". On se contente de formules creuses, "je sais pas, je suis heureuse", et après ça on a tout dit et rien du tout.

Le problème, avec le bonheur, c'est qu'il a plusieurs visages, qu'il s'amuse à porter des masques et que bien souvent on se fout la gueule dans des vitres trop propres et qu'on embrasse des miroirs.

Le problème, avec le bonheur, c'est que quand on se force, on a des crampes aux mâchoires. Il n'y a que le sourire spontané qui puisse vous déformer la figure pendant si longtemps sans que vos mandibules ressemblent à celles de Schwarzenegger.
Le problème, avec le bonheur, c'est que quand on ne fait plus rien, de peur de le perdre, on s'arrête de marcher, et il disparaît avec le mouvement.

Le problème avec le bonheur, c'est qu'on doit bien avouer qu'on est paumé. C'est qu'on doit reconnaître qu'on subit. En même temps qu'on vit. Que ce n'est pas un placard plein de fringues qui fera briller le soleil dans nos yeux. Que même une main au bout de la nôtre, qui fait obstacle à l'insupportable solitude, ne stabilise rien. Que la fatigue de tout n'a rien à voir avec un manque de sommeil.

L'accomplissement de chacun dans sa fonction propre, le bonheur aristotélicien? Mais l'incertitude radicale? Problème problème, my dear... J'ai paumé mon télos, quelqu'un l'aurait-il vu?

Le problème, avec le bonheur, c'est qu'on ne sait pas où on va, qu'on voudrait le savoir (ou pas), mais qu'en ce qui concerne la météo de la vie, on a rarement fait pires météorologues que nous. Alors on se trimbale en permanence avec lunettes de soleil et parapluie.
Le problème, avec le bonheur, c'est qu'on est perpétuellement déconcerté.

Le problème, avec le bonheur, c'est celui des autres. C'est ce sourire qui n'est pas pour vous, ce baiser qui n'est pas pour vous. Même cette gifle qui n'est pas pour vous. C'est cette vie qui n'est pas pour vous.
Le problème, avec le bonheur, c'est le monde qui joue à colamaya, et vous qui tâtez les jours en essayant de reconnaître celui de votre grande réussite.

Le problème, avec le bonheur, c'est qu'on ne devrait pas chercher, mais qu'on ne peut pas s'empêcher. Ce sont nos tentatives avortées, nos mini-déprimes et nos soupirs grisâtres. Ce sont tous ces gestes que nous ne finissons pas.

Le problème, avec le bonheur, c'est tout ce grand froufrou de vie qui va avec, et qui forme un bordel innommable.

Après tout, le problème, avec le bonheur, c'est tout ce qui fait que c'est le bonheur.

Goût de B.Y.E.


Did I disappoint you or let you down?
Should I be feeling guilty or let the judges frown?
'Cause I saw the end before we'd begun,
Yes I saw you were blinded and I knew I had won.
So I took what's mine by eternal right.
Took your soul out into the night.
It may be over but it won't stop there,I am here for you if you'd only care.

You touched my heart you touched my soul.
You changed my life and all my goals.
And love is blind and that I knew when,
My heart was blinded by you.
I've kissed your lips and held your head.
Shared your dreams and shared your bed.
I know you well, I know your smell.
I've been addicted to you.


Goodbye my lover.
Goodbye my friend.
You have been the one.
You have been the one for me.


I am a dreamer but when I wake,
You can't break my spirit - it's my dreams you take.
And as you move on, remember me,
Remember us and all we used to be

I've seen you cry, I've seen you smile.
I've watched you sleeping for a while.
I'd be the father of your child.
I'd spend a lifetime with you.

I know your fears and you know mine.
We've had our doubts but now we're fine,
And I love you, I swear that's true.
I cannot live without you.


Goodbye my lover.
Goodbye my friend.
You have been the one.
You have been the one for me.


And I still hold your hand in mine.
In mine when I'm asleep.
And I will bear my soul in time,
When I'm kneeling at your feet.


Goodbye my lover.
Goodbye my friend.
You have been the one.
You have been the one for me.


I'm so hollow, baby, I'm so hollow.I'm so, I'm so, I'm so hollow.

samedi 3 mai 2008

A l'auberge du souvenir


Repos blessés aux lèvres mortes
Anges défunts
Les jours banals qui ne m'importent
Tapent des mains

J'ai baissé la tête, détourné le regard
Des idéaux
La brise molle t'amenait sans égards
Dans mes propos

Les prières du ciel se sont trompé de route
Pour tous les naufragés
Laisse moi, reprend moi, sois l'oreille qui écoute
Le coeur abandonné

Aimer les formes trop connues
Des amours impossibles
C'est l'extase des reines nues
Aux lèvres impassibles

Tout scintille avec l'ardeur
D'un souvenir mensonger
Les paillettes qui embaument mon coeur
Ont les lèvres gercées

Les paroles ont déteint sur
Les silences de ton mépris
Comme si l'ange n'avait cure
Du diable qui lui sourit

C'est un refuge qu'il nous faut
Celui des âmes sereines
Qui n'ont ni aimé, ni souffert. Sans défaut
Sans qu'on les aime

Une cage dorée aux barreaux tordus
Par nos doigts
Car nous avons goûté nos prisons, sans retenue
Avant le désarroi

Les hommes aiment le calme plat des plaines
Les femmes aussi
Mais ils languissent de l'abîme qui saigne
Pour leurs folies

Les guitares pleureront, si elle le peuvent
Sous nos mains froissées
Elle savent mieux nos amours veuves
Que nous qui les avons portées